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Quotidien pratique - L'organisation

Retravailler

le 20 Janvier 2004
J’ai eu la chance de rester à la maison pendant près de 10 ans pour mettre au monde mes 3 enfants et m’occuper de ma famille. Pas toujours facile, certes, mais j’y ai puisé pendant longtemps une satisfaction et une valorisation infinies. Ça a été une expérience unique, totalement satisfaisante. Puis peu à peu, les enfants grandissaient, mon bébé commençait sa maternelle, ils découvraient le monde et s’éloignaient…hé oui, ils ne voulaient plus jouer avec moi! J’ai découvert l’ennui, puis graduellement, l’insatisfaction, la frustration. Si pourvoir aux besoins des enfants avait toujours été une priorité je découvrais soudainement avec dépit que ma garde-robe était totalement défraîchie, que je n’avais aucune activité personnelle ni sociale et que mon mari était même devenu, à certains niveaux, l’un de mes enfants Être le pivot d’une maisonnée totalement dépendante de moi, mais qui ne semblait pas reconnaître mon existence ne me satisfaisait plus mais me fâchait aussi!.. L’évidence m’accablait, je devais me changer MOI. C’est ainsi que m’est venue l’idée de retourner travailler, j’avais fait le tour de mon jardin, j’étais mûre. Et dans le même temps, comme une nécessité financière s’imposait, ça m’a donné le coup de pouce dont j’avais besoin.Mais que c’est dur…

Je me sentais inapte, j’avais totalement perdu confiance en mes moyens, même si j’avais plusieurs années de travail « derrière la cravate »; j’avais vaguement honte de ce trou de 10 ans sur mon CV. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, de perdre mes enfants, de les faire rater leur scolarité, de ne pas être présente en cas de maladie, qu’ils ne m’aiment plus, etc. J’anticipais tout, « j’ai personne et pas d’argent pour faire garder les enfants », « j’ai pas de voiture, aucun transport en banlieue », et « ah mais personne ne voudra embaucher une mère de 3 enfants », « je vais devenir folle à tout assumer la maisonnée et travailler en plus », etc. J’avais le sentiment qu’il me fallait tout prévoir et parer à toute éventualité, ce qui bien sûr, est absolument impossible.

Après 2 ans d’hésitations j’ai pris mon courage à 4 mains, mis mon habit d’homme-grenouille et j’ai plongé dans cette mare aux requins dont j’étais si à l’abri dans mon doux cocon familial. C’est les jambes tremblantes que j’ai porté ma candidature à des endroits différents et couverte de honte que j’ai vu les jours défiler sans aucune réponse. Mes 10 années d’expériences en des métiers d’alimentation et restauration ne me donnaient aucun avantage. Je réalisais durement qu’on trouve bien plus facilement du travail à 20 ans!... J’ai accepté un emploi de caissière dans un restaurant, le seul et unique qu’on m’a offert, que j’ai subi pendant 1 an. Ça n’a pas été facile! D’une part le travail ne me valorisait aucunement et d’autre part, si ma famille acceptait de bonne grâce mon travail, dans les faits on s’attendait de moi que rien ne change à la maison! La période d’adaptation a été rude.

N’ayant aucun diplôme, les portes m’étaient toutes fermées; les temps avaient changé. Moi aussi j’avais changé, avec une famille il me fallait tout de même avoir un revenu qui dépasse les frais de garde d’enfants! C’est ainsi que, à 33 ans, j’ai fait les démarches nécessaires pour me procurer une attestation d’équivalence d’études secondaires*. Je ne le croyais pas d’avoir réussi ça, j’étais fière comme tout :-)

Grâce à cette attestation, j’ai trouvé un autre travail, dans le département des archives d’un hôpital, pas plus satisfaisant que le 1er sauf que celui-ci me faisait mieux gagner ma vie. Mais je m’y ennuyais à mourir. J’étais insatisfaite, frustrée, et ma fierté s’est vite envolée. Diplôme ou pas, pas question de passer ma vie à tripoter des dossiers médicaux. Je nourrissais l’envie de retourner aux études, toutefois nous ne pouvions l’assumer financièrement alors j’attendais, et je travaillais.

Un concours de circonstances m’a donné l’occasion d’aller au chômage, c’était une période d’attente entre 2 assignations de travail. Là-bas j’ai demandé une formation que l’on me refusait, les formations étant exclusives aux sans-emploi de longue durée…j’ai insisté, argumenté, chiâlé, rué, mordu (mais non je blague) et finalement, conditionnellement à ce que je passe des tests d’aptitudes, je l’ai obtenue. Ma formation s’est faite malgré les embûches, car j’y croyais très fort.

Intimement, j’avais besoin de connaissances, d’évolution, de dépassement. Besoin de me prouver ! Je découvrais que au-delà de mon « statut de mère », il y avait quelqu’un d’autre là-dessous. :-) Mon revenu a diminué de moitié, j’ai dû emprunter pour m’acheter une voiture, et mon mari n’était pas en accord avec mon choix de cours, ni avec le fait que je laisse mon travail bien payé aux archives « pour ça » et…on s’est affrontés souvent. Je me sentais vivement coupable de persister malgré tout, parce qu’en plus mes 2 garçons avaient de la difficulté à l’école et je n’étais pas disponible pour les aider; j’ai même embauché une jeune étudiante institutrice pour leur donner des cours de rattrapage. Heureusement le chômage m’aidait grandement grâce à une allocation de formation et de frais de garde. Mon mari m’a bien soutenue heureusement, mais bon, ça n’a pas été facile pour personne cette période, parce que lui aussi devait assumer sa part en plus de son travail et de problèmes de santé. J’ai pu compter sur le soutien de mes cyber-copines alors que tout mon entourage se demandait ce que je faisais à user mes culottes sur les bancs d’école.

À la veille de mes 35 ans j’ai finalement obtenu mon vrai diplôme d’études professionnelles. Je suis demeurée dans le secteur hospitalier, car derrière mes dossiers je rêvais de contacts réels avec les patients! Je suis maintenant diplômée en assistance en soins de santé**, soit préposée aux bénéficiaires, et c’est un métier que je pratique avec fierté et passion. J’attends impatiemment que mes petits monstres grandissent et s’assument pour retourner à nouveau aux études en soins infirmiers.

S’il y a une chose que je déplore, avec le recul, c’est de ne pas avoir préalablement préparé ma famille à une certaine autonomie ! Mon mari a dû apprendre à faire les repas du soir et le lavage (sans tout rétrécir!), et mes enfants ont dû eux aussi mettre l’épaule à la roue et de bébés qu’ils étaient, il leur a fallu se développer, et rapidement. J’ai appris par cette expérience que je pouvais compter sur ma famille, ils ont relevé le défi et m’ont soutenu. La maison n’est pas aussi propre qu’avant, ma fille a besoin de souliers neufs depuis 3 semaines, le congélateur est plein de sacs de légumes congelés prêts à l’emploi…

Mais en contrepartie j’ai gagné en estime de moi-même, mon mari a finalement trouvé sa place de père auprès de nos enfants, et je crois avoir accompli pour mes enfants la plus belle leçon d’éducation possible: j’ai été au-delà des beaux discours :-) Je regarde le chemin parcouru et je me rends compte que les paroles que je me suis répétées le plus souvent et qui m’ont soutenue c’est : « Tu bâtiras le pont quand tu seras rendue à la rivière ». Sinon, j’en serais encore à me dire « j’ai pas de gardienne, pas de voiture, etc » et je n’aurais pas foncé. À tous ceux et celles qui auraient envie et peur de prendre leur vie en main je les encourage à le faire, en prenant un jour à la fois, une étape à la fois, un problème à la fois, rien n’est insurmontable. Le secret c’est de persévérer.

La fierté acquise n’a pas de prix!

* Ce certificat s’obtient par des tests qui démontrent que l’adulte a acquis au cours de ses expériences de vie un niveau de connaissances scolaires équivalentes pour rencontrer les exigences du Ministère de l’Éducation du Québec dans les matières principales (français lire et écrire, anglais, mathématiques, sciences humaines et économiques.) C’est un « papier » officiel qui permet au détenteur de postuler pour des emplois requérant un niveau d’études de Secondaire V ainsi que de s’inscrire pour suivre des cours de formation professionnelle. Cependant, ça ne donne pas droit à des études collégiales, les « vraies » études étant obligatoires.

** Comprend des modules de : Psychologie, communications, hygiène et asepsie, développement de la personne, connaissance des maladies les plus courantes, reconnaître les signes et symptômes, savoir comment réagir selon la pathologie, comment déplacer sécuritairement des personnes, connaître les virus et bactéries, les modes de transmission, réanimation cardio-respiratoire et 1ers soins et tout ce qui concerne les soins techniques: hygiène, changer des couches, installer l'oxygène, mettre quelqu'un sous moniteur, savoir placer des orthèses diverses, soins aux décédés, etc.